Par Franck BEAUDOIN, avocat, FB Juris
Publié sur idroit.co le 3 décembre 2020
Champ d’application du règlement (UE) no 1215/2012
Le règlement (UE) no 1215/2012 du parlement européen et du conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale s’applique en matière civile et commerciale, quelle que soit la nature de la juridiction.
Il ne s’applique notamment ni aux matières fiscales, douanières ou administratives, ni à la responsabilité de l’État pour des actes ou des omissions commis dans l’exercice de la puissance publique (acta jure imperii).
Sont exclus de son application:
- l’état et la capacité des personnes physiques, les régimes matrimoniaux ou les régimes patrimoniaux relatifs aux relations qui, selon la loi qui leur est applicable, sont réputés avoir des effets comparables au mariage;
- les faillites, concordats et autres procédures analogues;
- la sécurité sociale;
- l’arbitrage;
- les obligations alimentaires découlant de relations de famille, de parenté, de mariage ou d’alliance;
- les testaments et les successions, y compris les obligations alimentaires résultant du décès.
Compétence de principe des juridictions de l’État membre dans lequel le défendeur a son domicile
L’article 4 du règlement pose pour principe que les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre. Les personnes qui ne possèdent pas la nationalité de l’État membre dans lequel elles sont domiciliées sont soumises aux règles de compétence applicables aux ressortissants de cet État membre.
Compétence spéciale en matière non-contractuelle
L’article 7 2) du règlement prévoit une compétence spéciale en matière délictuelle ou quasi délictuelle : une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite dans un autre État membre devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire.
Compétence spéciale en matière contractuelle
L’article 7 1) du règlement prévoit une compétence spéciale en matière contractuelle : une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite dans un autre État membre devant la juridiction du lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande, c’est-à-dire, sauf convention contraire:
- pour la vente de marchandises, le lieu de la livraison (le lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées),
- pour la fourniture de services, le lieu d’exécution des services (le lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis).
Compétence spéciale en matière de contrats conclus par les consommateurs
L’article 18 du règlement dispose que l’action intentée par un consommateur contre l’autre partie au contrat peut être portée soit devant les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel est domiciliée cette partie, soit, quel que soit le domicile de l’autre partie, devant la juridiction du lieu où le consommateur est domicilié. L’action intentée contre le consommateur par l’autre partie au contrat ne peut être portée que devant les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel est domicilié le consommateur.
Compétence spéciale en matière de contrats individuels de travail
En vertu de l’article 21 du règlement, un employeur, domicilié sur le territoire d’un État membre peut être attrait, soit devant les juridictions de l’État membre où il a son domicile, soit dans un autre État membre:
- devant la juridiction du lieu où ou à partir duquel le travailleur accomplit habituellement son travail ou devant la juridiction du dernier lieu où il a accompli habituellement son travail;
- ou lorsque le travailleur n’accomplit pas ou n’a pas accompli habituellement son travail dans un même pays, devant la juridiction du lieu où se trouve ou se trouvait l’établissement qui a embauché le travailleur.
Un employeur qui n’est pas domicilié sur le territoire d’un État membre peut être attrait devant les juridictions d’un État membre dans les conditions prévues par les deux dernières options.
L’action de l’employeur ne peut être portée que devant les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel le travailleur a son domicile (article 22 du règlement).
Compétence spéciale en matière d’assurances
En application des articles 11 et suivants du règlement, l’assureur domicilié sur le territoire d’un État membre peut être attrait, notamment:
- devant les juridictions de l’État membre où il a son domicile;
- dans un autre État membre, en cas d’actions intentées par le preneur d’assurance, l’assuré ou un bénéficiaire, devant la juridiction du lieu où le demandeur a son domicile;
- s’il s’agit d’un coassureur, devant la juridiction d’un État membre saisie de l’action formée contre l’apériteur de la coassurance;
- devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit s’il s’agit d’assurance de responsabilité ou d’assurance portant sur des immeubles; il en est de même si l’assurance porte à la fois sur des immeubles et des meubles couverts par une même police et atteints par le même sinistre;
- en matière d’assurance de responsabilité, devant la juridiction saisie de l’action de la victime contre l’assuré, si la loi de cette juridiction le permet.
L’action de l’assureur ne peut être portée que devant les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel est domicilié le défendeur, qu’il soit preneur d’assurance, assuré ou bénéficiaire, sauf en cas d’action directe.
Compétences exclusives
L’article 24 du règlement prévoit des compétences exclusives dans certaines matières.
En matière de droits réels immobiliers et de baux d’immeubles, les juridictions de l’État membre où l’immeuble est situé sont exclusivement compétentes.
En matière de validité, de nullité ou de dissolution des sociétés ou personnes morales, ou de validité des décisions de leurs organes, les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel celles-ci ont leur siège sont exclusivement compétentes.
En matière de validité des inscriptions sur les registres publics, les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel ces registres sont tenus sont exclusivement compétentes.
En matière d’inscription ou de validité des brevets, marques, dessins et modèles, et autres droits analogues donnant lieu à dépôt ou à un enregistrement, que la question soit soulevée par voie d’action ou d’exception, sont exclusivement compétentes les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel le dépôt ou l’enregistrement a été demandé, a été effectué ou est réputé avoir été effectué aux termes d’un instrument de l’Union ou d’une convention internationale.
En matière d’exécution des décisions, les juridictions de l’État membre du lieu de l’exécution sont exclusivement compétentes.
Compétences spéciales justifiées par le principe de bonne administration de la justice
L’article 8 du règlement dispose qu’une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut aussi être attraite :
- s’il y a plusieurs défendeurs, devant la juridiction du domicile de l’un d’eux, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément;
- s’il s’agit d’une demande en garantie ou d’une demande en intervention, devant la juridiction saisie de la demande originaire, à moins qu’elle n’ait été formée que pour traduire celui qui a été appelé hors du ressort de la juridiction compétente;
- s’il s’agit d’une demande reconventionnelle qui dérive du contrat ou du fait sur lequel est fondée la demande originaire, devant la juridiction saisie de celle-ci;
- en matière contractuelle, si l’action peut être jointe à une action en matière de droits réels immobiliers dirigée contre le même défendeur, devant la juridiction de l’État membre sur le territoire duquel l’immeuble est situé.
Choix des juridictions par les parties: prorogation de compétence
Convention attributive de juridiction
En vertu de l’article 25 du règlement, les parties peuvent convenir d’une juridiction ou de juridictions d’un État membre pour connaître des différends nés ou à naître à l’occasion d’un rapport de droit déterminé, sauf dans certaines matières.
Les parties ne peuvent pas valablement déroger:
- aux compétences exclusives de l’article 24 du règlement (concernant principalement l’immobilier, le droit des sociétés, la propriété industrielle, les voies d’exécution);
- aux règles spéciales de compétence en matière de contrats conclus par les consommateurs, de contrats individuels de travail, d’assurances.
Dans les autres matières civiles et commerciales entrant dans le champ d’application du règlement, les parties peuvent donc choisir d’un commun accord les juridictions compétentes.
La convention attributive de juridiction doit en principe être écrite, mais elle peut être conclue sous une forme conforme aux habitudes des parties ou, dans le commerce international, aux usages. En pratique, elle prend généralement la forme d’une clause contractuelle, désignée de différentes matières : clause attributive de compétence, clause attributive de juridiction, clause d’élection de for, compétence juridictionnelle, juridictions compétentes.
Les juridictions ainsi désignées par les parties sont compétentes, sauf si la validité de la convention attributive de juridiction est entachée de nullité quant au fond selon le droit de l’État membre concerné. Cette compétence est exclusive, sauf convention contraire des parties.
Comparution volontaire
En application de l’article 26 du règlement, la juridiction d’un État membre devant laquelle le défendeur comparaît est compétente, sauf si la comparution a pour objet de contester la compétence ou s’il existe une autre juridiction exclusivement compétente en vertu de l’article 24 du règlement.
Mesures provisoires et conservatoires
L’article 35 du règlement dispose que les mesures provisoires ou conservatoires prévues par la loi d’un État membre peuvent être demandées aux juridictions de cet État, même si les juridictions d’un autre État membre sont compétentes pour connaître du fond.
Litispendance et connexité
En cas de litispendance, c’est-à-dire lorsque des demandes ayant le même objet et la même cause sont formées entre les mêmes parties devant des juridictions d’États membres différents, la juridiction saisie en second lieu sursoit d’office à statuer jusqu’à ce que la compétence de la juridiction première saisie soit établie (article 29 du règlement).
Cependant, la juridiction valablement désignée par une convention attributive de juridiction est toujours prioritaire sur les autres juridictions saisies, sauf en cas de comparution volontaire (article 31 §2 et 3 du règlement)
Lorsque les demandes relèvent de la compétence exclusive de plusieurs juridictions, le dessaisissement a lieu en faveur de la juridiction première saisie.
Lorsque des demandes connexes sont pendantes devant des juridictions d’États membres différents, la juridiction saisie en second lieu peut surseoir à statuer (article 30 du règlement). Sont connexes les demandes liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément.
Reconnaissance et exécution des décisions judiciaires
Les décisions rendues dans un État membre sont reconnues dans les autres États membres sans qu’il soit nécessaire de recourir à aucune procédure. L’exequatur n’est donc pas applicables aux décisions rendues par les autres États membres de l’Union européenne (article 36 du règlement).
Une décision rendue dans un État membre et qui est exécutoire dans cet État membre jouit de la force exécutoire dans les autres États membres sans qu’une déclaration constatant la force exécutoire soit nécessaire (article 39 du règlement).
Une décision exécutoire emporte de plein droit l’autorisation de procéder aux mesures conservatoires prévues par la loi de l’État membre requis (article 40 du règlement).
La procédure d’exécution des décisions rendues dans un autre État membre est régie par le droit de l’État membre requis. Une décision rendue dans un État membre et qui est exécutoire dans l’État membre requis est exécutée dans ce dernier dans les mêmes conditions qu’une décision rendue dans l’État membre requis (article 41 du règlement).
© FB Juris / idroit.co
- Contrat: définition et régime juridique
- Justice: compétence territoriale
- Compétence judiciaire en matière civile et commerciale dans l’Union européenne: règlement (UE) no 1215/2012
- Loi applicable aux obligations contractuelles dans l’Union européenne: règlement (CE) no 593/2008
- Contrat international
- Formation: contrats internationaux
Les contenus publiés sur idroit.co sont la propriété exclusive de FB Juris société d’avocats et des auteurs. Ils sont soumis aux conditions d’utilisation publiées sur idroit.co.
Dans le cadre de l’amélioration continue de nos sites, les contenus peuvent être modifiés et déplacés. Recherchez-les sur nos sites idroit.co et droit.co ou contactez-nous.